Périple au Cap Brett

Samedi. 5h45. Le réveil sonne. Petit-déjeuner. Affaires dans le sac. Le soleil pointe le bout de son nez. Je reprends la route direction Rawhiti, point de départ de la randonnée du Cap Brett. Après cinq minutes de ferry, je m’engage dans une petite route sinueuse qui me mène dans des endroits reculés, entre forêt, petits champs où les vaches pâturent, et océan. Après une heure et demie de route, j’arrive au début du sentier. Je mange deux œufs durs avant de partir, il n’est pas encore 9 heures. Je prends de l’énergie avant de me lancer dans les seize kilomètres de randonnée de la journée.

Je m’élance sur le chemin à 9 heures. Il fait beau, le soleil est éblouissant. Mais rapidement la piste se cache dans la forêt, il fait plus frais. Au bout d’une heure de marche, j’atteins un premier point de vue. Devant moi, la baie s’étire, majestueuse, parsemée d’une myriade d’îles qui semblent flotter entre ciel et mer. Juste en face, l’île d’Urupukapuka, où je me suis promené mercredi, repose paisiblement, baignée de lumière. Les couleurs sont éclatantes, presque irréelles — des dégradés subtils de bleu et de vert qui se fondent comme dans une aquarelle, donnant à la scène des allures de peinture vivante. Un homme arrive et engage la conversation. C’est un local qui place ce jour-là à raison d’une fois par mois des pièges contre les espèces invasives qui menacent la biodiversité locale. Les Kiwis sont très engagés dans la protection de leur faune et de leur flore. On discute et on parle de nos vies : il me raconte qu’il est agriculteur, et que les champs et les bêtes que j’ai vu le long de la route étaient les siens. Il me montre l’île d’Urupukapuka en face : les moutons sur cette île, ils sont aussi à lui. Lui, il est jeune. Maori, sans aucun doute. C’est comme marqué sur son visage et ça se voit avec ses yeux marrons au regard profond. Quand il était plus jeune, il est parti faire ses études en Angleterre. Puis il est parti en Australie travailler dans une ferme. Mais il y avait de grosses et méchantes bêtes là-bas. Toujours dans sa tête, ses terres qui l’ont vu grandir. Il décide de revenir là où tout a commencé, en reprenant les terres de son grand-père pour faire ce qu’il a toujours aimé.

Je reprends le chemin. Il m’a prévenu, ça ne fait que monter et descendre. Et en effet, c’est bien ce qui rend cette randonnée si exigeante. Le sentier ne cesse de monter et de descendre, serpentant sur des pentes raides qui mettent les jambes à rude épreuve. Chaque pas se gagne, chaque montée arrache un peu d’énergie, et les descentes, loin d’être un répit, pèsent autant sur le corps. C’est une marche qui se mérite. Au fil du chemin, la végétation se transforme peu à peu. Je traverse d’abord une forêt dense, verdoyante, peuplée de palmiers et de feuillages délicats. Puis, progressivement, le paysage devient plus aride. La silhouette de ces arbres semble être sculptée par le vent, tant ils y sont familiers. Leur teinte pâle et presque bleutée évoque par moments celle du ciel, comme si la nature elle-même se fondait dans l’horizon. Sur les coups de 12h30, j’arrive au point de déjeuner. Une parcelle d’herbe tendre pour s’allonger avec une vue dégagée sur la côte et l’océan. Nous sommes une petite dizaine à manger là. On ne cesse de se croiser et recroiser au fil des notre avancée.

Je reprends le long chemin. Je sens que mon corps est déjà fatigué. Je pensais faire le retour le lendemain, mais je songe finalement à prendre un bateau-taxi pour rentrer, histoire aussi de profiter encore d’un point de vue différent. À 14 heures, je vois la pointe, le bout du chemin. Mais c’est encore loin, il reste encore au moins deux kilomètres. La vue est belle : la pointe arborée, et l’océan à perte de vue au bleu profond. Le chemin se resserre, étroit aux descentes et montées difficiles. Une dernière grande montée, une descente douloureuse, et le phare se dévoile, en contrebas. Tout blanc, et si petit. Droit devant, le rocher d’Hole in the Rock. Je m’arrête quelques instants — enfin, après six heures de marche je vois la fin, la maison du gardien du phare. Posée là face à l’océan, au milieu d’une prairie au vert éclatant. C’est ma demeure pour cette nuit. C’est vraiment incroyable de se dire que je vais dormir là, dans ce cadre époustouflant. Je rentre dans la maison. Le parquet en bois de kauri, des lits en bois et à travers les fenêtres, l’océan. Je défais mon sac de couchage, puis je sors m’allonger dans l’herbe. Je suis épuisé. Le soleil me réchauffe un peu, mais le vent souffle. Je profite de la tranquillité du lieu. Je mange mes barres de céréales qui me servent de repas. Je vois dans l’océan une otarie s’amuser, sans doute celle de mercredi. Peu à peu, mes acolytes pour la nuit arrivent, eux aussi exténués. Je regarde le soleil se coucher. J’admire ce ciel teinté de rose, comme une dernière caresse du jour. Les couleurs chaudes glissent sur l’herbe, l’enveloppant d’une lumière dorée, avant que le froid de la nuit ne vienne doucement éteindre la scène. À 20 heures, tout le monde est couché, collant de transpiration mais heureux d’être là et d’avoir accompli ce périple de seize kilomètres.

Le matin, on se réveille en même temps que le soleil, aux alentours de 7 heures. Je pensais que j’aurais récupéré mais je sens que mes jambes me font encore mal. Petit-déjeuner face au soleil levant, au milieu de nulle part. Les premiers mètres sont extrêmement difficiles, mes jambes me font mal, mais je n’y pense plus au fur et à mesure. Il me reste deux heures et demie de marche. D’abord, le temps se montre menaçant, le vent souffle fort, les nuages gris enveloppent le ciel et donnent un côté ténébreux à l’eau qui se casse contre la roche en contrebas. Je fixe l’horizon où l’océan s’étire, tandis que les rayons filtrent à travers les nuages, déposant là-bas une lumière douce, jaune et timide. Petit à petit, le ciel se dégage. Le soleil brille à nouveau. J’arrive vers 11 heures à Deep Water Cove, petite crique perdue enserrée par la forêt. De magnifiques fleurs violettes tapissent par-ci par-là le sol verdoyant. La pluie se met à tomber légèrement. Je profite de cette nature paisible avant que le bateau-taxi ne finisse par arriver. On longe la côte. En cinq minutes, nous faisons ce que nous avons parcouru en six heures la veille. Fatigué, mais plein de souvenirs dans la mémoire.

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