Du mont Taranaki à la route 43
Il est 5 heures passées quand le froid me tire des bras de Morphée. Je suis fatigué, ça fait bien longtemps que je n’ai pas passé une bonne nuit bien reposante. Arrivé à New Plymouth mercredi, j’en ai profité jeudi pour visiter la ville. Un grand parc aux airs de jardin japonais, et une longue côte piétonne. Mais comme toutes les petites villes d’ici, je suis chagriné par leur charme à l’américaine, villes modelées pour les voitures et par les voitures, aux trottoirs mornes et aux bâtiments sans âme… De toute façon, ce n’est pas ce qui m’a fait venir chez les Kiwis ; je suis venu ici pour apprécier les grands espaces qui font la beauté de la Nouvelle-Zélande. Alors je prends ce réveil matinal comme une occasion de découvrir ces étendues sous un nouveau jour.
Il fait encore nuit quand j’allume le moteur de ma voiture. J’attends un peu qu’il se réchauffe. La journée va être longue. Direction le mont Taranaki, à trois quarts d’heure de New Plymouth. Quand j’étais arrivé mercredi, il m’avait surpris par sa taille, trônant au loin, dominant le paysage plat d’une route de bord de mer. À à peine vingt kilomètres du rivage, il faut dire qu’il domine avec ses deux mille cinq cents mètres de hauteur. Le jour commence à se lever, voilà que les premières lueurs éclairent progressivement la route. Je le vois tout au long du chemin. D’abord dans la nuit, les premiers rayons commencent à révéler sa majestuosité. La route se rétrécit d’un coup. Le bois enserre la route après que les grandes étendues d’herbe sèche nous offraient une vue imprenable sur le mont. La route devient une succession de petits virages dans une forêt dense où les panneaux préviennent de la possible présence de kiwis sur le bitume. Il n’est pas encore 7 heures, je gare ma voiture. Je sors aussitôt, ébahi par la beauté du spectacle devant moi. Le mont à la roche grise se pare d’un délicat rose, tandis que les nuages l’enveloppent avec délicatesse. Ce spectacle vivant est vraiment magnifique. Je reste quelques minutes à l’admirer, puis je me décide à marcher. Un petit tour pour admirer et ressentir la douceur de ce lieu. J’entre dans le bois : je ne vois plus le sommet, mais la douceur d’une forêt qui se réveille, les bruits des animaux qui sortent de leur sommeil, les arbres illuminés par une douce couleur dorée du soleil levant sont un nouveau spectacle. Il n’y a pas de bruit. Seulement le chant des oiseaux et le bruit des animaux qui marchent sur les feuilles au sol. Je marche pendant plus de deux heures, serpentant le mont entre sa forêt et les points de vue où l’on peut voir son sommet. Il dégage comme une puissance invisible. C’est un volcan éteint, mais c’est comme s'il murmurait quelque chose. La beauté de la Terre.
Je reprends la route. L’objectif du jour est de découvrir la route 43, aussi surnommée la « Forgotten World Highway ». Route nationale, elle n’était pourtant pas il y a encore quelques mois entièrement goudronnée. Longue de cent cinquante kilomètres, elle relie Stratford à Taumarunui. S’y engouffrer, c’est comme pénétrer dans un autre monde, où l’on se sent si loin de tout. Pendant près de cinq heures - oui, je roule très lentement et je fais beaucoup de pauses -, défilent sous mes yeux de grands champs, des vallées et des monts peuplés de moutons, de magnifiques forêts. Plus on s’enfonce dans les terres, plus cette sensation de se sentir loin du monde se renforce. Je ne croise pas beaucoup de monde sur la route, j’aurais vu plus de moutons et de vaches que d’humains en ce laps de temps. Les fenêtres ouvertes, je profite de l’air frais et du chant des criquets. La vie ici est si paisible. Des écoles installées au beau milieu de nulle part, des maisons ici et là. Je fais une pause à Whangamomona. Une fête d’anniversaire est organisée dans la salle du village, qui ne compte pas plus de dix bâtisses installées le long de la route, dont le motel-café. C’est ici qu’on a érigé en 1989 la république auto-proclamée de Whangamomona suite à un redécoupage territorial qui a fait changer le village de région. On célèbre son indépendance chaque année et des élections sont organisées pour choisir un nouveau président. Il y a même une ambassade de la République tchèque depuis 1999. Évidemment, tout ça, c’est pour rigoler. Et il n’est pas surprenant qu’ici, un mouton soit élu président. Je repars sur la route pour la plus de centaine de kilomètres qu’il me reste encore à faire. Je me fais arrêter par une famille de paons qui traversent la route. Les champs, la forêt, les moutons. Encore plus loin de tout. Comme une certaine définition de la sérénité.